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En Croatie, le Parc national des lacs de Plitvice intrigue les scientifiques

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À mi-chemin entre Zagreb et le littoral adriatique, le «jardin du diable» est un joyau de la nature, classé au patrimoine de l’Unesco depuis 1979. Recouvert aux deux tiers par des forêts – dont une partie dite «primaire» -, il intrigue les scientifiques.


 Parc national des lacs de Plitvice, juillet 2006. Plitvice Lake29cm Flickr / CC BY-SA 2.0

Le 4 x 4 vient juste de piler face à un rempart de verdure qui semble infranchissable. «C’est Corkova Uvala», indique sobrement le ranger qui nous conduit. Autrement dit, la vallée de Corak, du nom du hameau le plus proche, maintenant déserté. Un vestige de la forêt originelle qui recouvrait l’Europe au néolithique. Un maigre lambeau, il faut le reconnaître: 84 hectares seulement, sur les 29.685 du Parc national des lacs de Plitvice. Mais quel spectacle! C’est ici qu’on rencontre les arbres les plus vieux et les plus grands de Croatie. Le plus vénérable de ces géants, un sapin (mais l’endroit compte aussi des hêtres et des épicéas), affiche des mensurations impressionnantes: 58 mètres de hauteur, 1,5 mètre de diamètre et presque 5 de circonférence. Ce qui rend humble… Classée réserve spéciale en 1965, Corkova Uvala est interdite au grand public. N’y accèdent que de petits groupes munis d’une autorisation, essentiellement des scientifiques et des étudiants, désireux de visualiser à quoi peut bien ressembler une forêt non dessinée et travaillée par la main de l’homme.

 Photos non taguées : Eric Martin


Le sol, tour à tour craquant ou spongieux, est tapissé d’humus, de feuilles, de troncs, de branches, de souches. Sis sur un plateau karstique des Alpes dinariques, il est aussi parsemé de rochers et de canyons, d’anfractuosités entre lesquelles il faut slalomer pour progresser. Une cathédrale naturelle, avec transepts, travées, arcades, colonnes et rayons de lumière. Kresimir Culinovic, ingénieur forestier du Centre de conservation et de recherche Ivo Pevalek (organisme gouvernemental dépendant du parc), nous explique: «On parle de "forêt primaire" quand les phases suivantes sont identifiables: la jeunesse ou régénération (semis et jeunes pousses), la maturité (mélange d’essences en pleine croissance), la sénescence (taille maximale), la mort et la décomposition, qui fournira les nutriments indispensables à la perpétuation du cycle. Ici, comme dans certains autres pays du continent (Finlande, Pologne, Biélorussie, Bosnie-Herzégovine, Roumanie), toutes ces phases sont visibles, même si cela ne représente qu’une modeste surface. C’est pour cette raison que Corkova Uvala est surveillée et protégée.»



Pourtant, ce n’est pas pour cette forêt vierge et donc rare que se pressent les 1,2 million de visiteurs annuels du parc (à cet égard, il faut éviter le mois d’août, qui peut comptabiliser 10 000 entrées par jour). L’attraction principale, et la plus facilement accessible, est constituée par les seize lacs qui s’étagent entre 500 et 650 mètres d’altitude, reliés entre eux par 92 cascades ainsi qu’une multitude de ruisseaux et de torrents. Les douze premiers lacs sont dénommés «lacs supérieurs» (Gornja jezera), les quatre autres «lacs inférieurs» (Donja jezera). Un panorama stupéfiant (1). On croirait une œuvre d’art. C’en est une. Mais sans autre artiste que la nature, contrairement aux jardins nippons. Même si les autochtones colportent une autre histoire...

[...]La science étant passée par là, la réalité est plus prosaïque et… plus compliquée! Si l’on met à part l’écrin boisé et sa végétation luxuriante, la spécificité du lieu tient à la géologie et à la chimie. Les barrières actuelles, du tuf calcaire (ou travertin) qui permet la formation de bassins et la rétention d’eau, remontent à la fin de la dernière glaciation, il y a 6 000 ou 7 000 ans. A cause de la structure des roches (dolomite et karst), les lacs sont saturés en bicarbonate de calcium. Par effets mécanique et chimique, le jaillissement de l’eau en contact avec le calcium génère un dépôt de calcaire: le travertin. Sorte de barrage sur lequel viennent s’agglomérer des algues et des plantes, comme l’a démontré le chercheur croate Ivo Pevalek (2)… Toujours est-il que cette forêt enchantée et son collier lacustre n’ont cessé de stimuler, voire d’enflammer les imaginations.

 Une des premières chutes d'eau du parc. Alessio Milan Flickr / CC BY-SA 2.0

Lorsque la Croatie fut rattachée à l’Empire austro-hongrois, au XVIIe siècle, la zone fut baptisée Hortus Diabolus, soit le «jardin du diable». Erigée en Vojna krajina (frontière militaire), zone-tampon entre les Ottomans et les Habsbourg, elle accueillait tous les Slaves, venus de l’est, qui fuyaient le joug turc et la religion mahométane, incarnations jugées diaboliques par les populations chrétiennes d'alors. Parmi ces réfugiés balkaniques, de nombreux Serbes, qui décidèrent ensuite de s’implanter dans la région. [...]Une bombe à retardement qui explosa en avril 1991, l et qui inaugura le démantèlement de la Yougoslavie. Ici et là, des ruines de maisons calcinées ou rafalées, puis abandonnées, témoignent encore de la violence des combats.

 Chutes d'eau près du lac Gradinsko. Totodu74 CC BY-SA 3.0

[...]On peine à s’imaginer tant de sang et de larmes en parcourant aujourd’hui les paisibles sentiers du parc. Des passerelles en noisetier (résistant à l’humidité et au froid, car la température descend jusqu’à – 20 °C en hiver!) font la jonction entre les lacs et des bateaux électriques (par souci d’écologie) qui sillonnent les plus vastes d’entre eux. Il faut une journée pour en faire le tour à pied... 

 Chemin de randonnée dans les lacs inférieurs, vus depuis le haut du canyon. ArjLover CC BY-SA 3.0

[...]«Selon Kresimir Culinovic, les deux meilleures saisons, pour venir ici, sont le printemps et l’automne. Au printemps, on peut mesurer la richesse de la flore, en pleine éclosion. En automne, dans une relative tranquillité, on peut admirer la palette de couleurs, celle des lacs (les micro-organismes leur donnent des teintes bleues, vertes, turquoise) et celle des feuillages. Un feu d’artifice chromatique!» 

 Un des bateaux électriques permettant la traversée du lac Kozjak. lorca56 Flickr / CC BY-SA 2.0

En effet, la situation géographique du parc, aux caractères à la fois méditerranéens (60 kilomètres de la côte, à vol d’oiseau) et montagneux (entre 418 et 1 279 mètres d’altitude), associée aux particularités géologiques du karst, en font un paradis de la biodiversité. D’autant que toute activité humaine y est interdite: chasse, pêche, baignade, camping. 1 297 espèces végétales y ont été répertoriées, dont vingt-deux sont protégées. Parmi celles-ci, plusieurs orchidées sauvages comme le Sabot de Vénus et des plantes carnivores. 

 Sabot de Vénus (Cypripedium calceolus). Manuguf CC BY-SA 3.0

Côté faune, outre quelques pittoresques amphibiens (salamandre tachetée ou triton alpestre), on retiendra la présence des trois grands prédateurs européens: le lynx, le loup et l’ours (Ursus arctos). Seigneur des céans, ce dernier a même l’honneur de figurer sur le logo officiel du parc. On en recenserait 1 000 en Croatie, et une centaine rien qu’à à Plitvice. Mais sa survie n’est pas toujours facile: en 2013, trente-trois ours ont été tués sur les routes alentour (qui coupent quelquefois leurs parcours migratoires).

 Ours brun (Ursus arctos) en liberté dans le parc national Bavarian Forest. Aconcagua GFDL / CC BY-SA 3.0

A tel point qu’un amoureux des plantigrades, Ivan Crnkovic, a ouvert un orphelinat pour oursons à Kuterevo, non loin du parc, dans le massif du Velebit. Aidé par des jeunes Européens qui effectuent leur service civil dans son Refugium Ursorum (sic), il recueille les petits qui ont perdu leur mère. «Et pas seulement dans des accidents de la circulation,raconte-t-il. Il y a aussi la chasse – 100 individus autorisés par an – et, hélas, le trophy hunting (la chasse aux trophées) pratiqué par des Nemrods fortunés qui viennent ici – illégalement, cette fois – pour rapporter à la maison une peau ou une tête d’ours!» Consternant mais véridique…

 Vue sur un lac, depuis une grotte. I, Toksave CC BY-SA 3.0

Toutes les bonnes choses ayant une fin, il nous faut quitter cet éden. Afin de prolonger un peu la féerie, nous faisons étape à Rastoke, sur le chemin de Zagreb, à une trentaine de kilomètres du parc. Même phénomène de travertin et de cascades qu’à Plitvice, sauf que l’homme y a laissé sa trace de la plus ingénieuse des façons. Ce qui prouve que nature et culture peuvent fusionner sans dommages. Dès le XVIème siècle, on y a construit des maisons adaptées au cadre (fondations en tuf et toitures en bois) et des moulins à eau, utilisés pour moudre le blé et le maïs ainsi que pour teindre la laine. Deux rivières s’y rejoignent: la Slunjcica, qui chute des sommets et dont l’eau ne dépasse jamais 16 °C – même en été -, et la Korana, alimentée par les lacs de Plitvice et où les estivants aiment à se baigner (elle peut monter à 28 °C). 


 ZagrebCity 10/12/2010


(1) Dans les années 60, ce décor fut choisi par les Allemands pour y tourner une série de westerns adaptés des romans de Karl May. Le héros, un Amérindien, y était interprété par le français Pierre Brice, inconnu chez nous mais star de l’autre côté du Rhin…

(2) Ivo Pevalek est à l’origine du classement des lacs de Plitvice en parc national (1949). Ses travaux ont permis de comprendre la formation du tuf calcaire. Le Centre de conservation et de recherche du parc porte aujourd’hui son nom.


Jack35 8/2/2015 (Source : Le Figaro)

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