Aller au contenu
Rechercher dans
  • Plus d’options…
Rechercher les résultats qui contiennent…
Rechercher les résultats dans…
Admin-lane

Le geai bouscule les frontières et le tempo de l’évolution

Messages recommandés

Non, l’évolution n’est pas un processus lent et multimillénaire, nécessitant un isolement géographique des espèces. Une étude sur les Geais de Santa Cruz, aux États-Unis, remet en cause quelques idées reçues.

 Les geais de Santa Cruz ont le plumage relevé de belles nuances de bleu. Mais tous n'ont pas la même forme de bec. ©️ Kathryn M. Langin/ U. S. Geological Survey

"C’est comme si une île s’était formée à l’intérieur de l’île, mais sans frontières", explique l’écologue Kathryn Langin, du Fort Collins Science Center, au Colorado (États-Unis). En étudiant les geais endémiques de Santa Cruz (Aphelocoma insularis), des oiseaux bleus et brillants inféodés à cette île de 250 km2 au large de la Californie, elle et ses confrères ont constaté un étonnant phénomène de "variations micro-géographiques" répétées au sein de la seule et même population de ces passereaux. Autrement dit, les geais de Santa Cruz ne sont pas seulement différents des geais de la Californie continentale : Ils ont des caractéristiques différentes selon l’endroit où on les trouve, d’après la chercheuse qui a "mesuré" 500 spécimens.

Les îles ont toujours joué un rôle majeur dans la théorie de l’évolution. Rappelons que c’est en comparant les espèces des Galapagos avec celles de l’Amérique du Sud voisine que Charles Darwin a compris au 19ème siècle que des espèces similaires partageaient un ancêtre commun. "Ce sont des éprouvettes de la nature, fermées, accueillant peu de migrants, souligne Kathryn Langyn. Cet isolement permet aux espèces de s’adapter rapidement aux caractéristiques de leur île sans l’apport incessant de gènes d’individus venus d’horizons plus lointains". C’est pourquoi elles sont de véritables incubateurs à nouvelles espèces. "Mais ce que j’ai pu vérifier à Santa Cruz, c’est que l’évolution ne s’arrête pas là, raconte la biologiste. Le processus peut aussi générer une biodiversité à l’intérieur des îles elles-mêmes, et pas seulement d’une île à l’autre".

 Les Aphelocoma insularis vivent dans trois aires différentes de Santa Cruz : (Photo Devon Pike CC BY-SA 3.0)

- Ceux qui occupent la forêt de pins ont développé de longs becs fins, idéaux pour extraire la nourriture (insectes, larves, araignées, lézards) tapie dans les crevasses des conifères. 

- En revanche, leurs voisins des forêts de chênes ont des becs plus courts, solides et trapus, mieux armés pour ouvrir l’écorce des glands dont ils raffolent. Le plus curieux est que ce petit monde ne se mélange pas. Pourtant, "les forêts de pins et de chênes se jouxtent et les oiseaux peuvent voler de l’une à l’autre, pointe Kathryn Langin. Cela contredit l’idée dominante selon laquelle l’évolution peaufine des adaptations aux caractéristiques locales du paysage uniquement lorsque les populations sont géographiquement séparées par une barrière, comme l’océan ou une grande étendue de milieux inhospitaliers". 

À noter : la taille des becs est transmise de génération en génération, et les geais copulent de façon sélective avec ceux qui ont des becs de la même forme qu’eux ! Sans que l’on parvienne encore à savoir quelle "barrière" s’est glissée entre les deux populations d’oiseaux. Le goût pour une certaine forme de becs pourrait-il être culturel chez les geais ?

Cette intéressante observation n’est cependant pas une première. Dès 2000, Andrew Hendry, de l’université du Massachusetts (États-Unis) avait découvert l’épopée évolutive fulgurante des saumons Sockeye, reconnaissable à leur livrée d’un beau rouge vif mercurochrome, dans le lac Washington. "Soixante ans ont suffi pour que les saumons du lac se scindent en deux populations distinctes" racontait-il alors à Sciences et Avenir (n° 646, décembre 2000). Avec, chez les saumons de la plage, des mâles plus charpentés pour séduire les femelles et chez les saumons de rivière, des mâles profilés sur un plan hydrodynamique pour résister aux courants. 


La rapidité d’adaptation des poissons contredisait l’idée d’une évolution étalée sur des centaines ou des milliers d’années. Surtout, l’étude, publiée par Science démontrait in vivo ce que pressentaient certains modèles théoriques de la spéciation : les différences développées par une population pour s’adapter à un nouveau milieu peuvent contribuer peu à peu à l’isoler sexuellement ! Et finir par l’empêcher de se reproduire avec d’autres membres de la population dont elle est originaire.

Un isolement géographique strict n’est même pas indispensable au processus. Des cas similaires ont été recensés en 2014 par des biologistes américains chez les salamandres tachetées de l’est des États-Unis, les poissons cichlidés du Nicaragua ou encore les mésanges bleues de Corse. "Les adaptations microgéographiques, très peu étudiées, peuvent être plus communes qu’on ne le pensait… même dans des groupes aussi mobiles que les oiseaux", relevaient les chercheurs. 

Enfin, le phénomène peut être aussi imprévisible que rapide, comme le montrent plusieurs travaux portant sur le bec des pinsons des Galapagos. Les caractéristiques d’une population peuvent être modifiées ou altérées d’une année à l’autre, soulignait ainsi un papier paru dans Nature, début 2015 : il suffit de mutations ou de sélection sur les gènes impliqués dans le développement du bec. Les dernières études sur les pinsons chers à Darwin confirment bien que l’évolution n’est pas seulement un processus lent, stable se poursuivant sur des millénaires mais qu’il peut être aussi fortuit que fulgurant.


Le nom de Geai désigne plusieurs espèces d'oiseau. C'est une espèce de passereau appartenant à la famille des corvidés. Le geai « cajole ». Quand il pousse un cri, il « cajacte ». Le nom de genre du Geai des chênes est garrulus, ce qui signifie « bavard ».



Sciences et avenir 22/2/2015

Partager ce message


Lien à poster
Partager sur d’autres sites

×
×
  • Créer...