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Guillaume GILLET fait le point sur les évolutions internationales après Fukhushima

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Guillaume GILLET est directeur des relations internationales de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en France.

Sciences et Avenir.fr : Entre le G8 de Deauville fin mai, le séminaire ministériel du 7 juin organisé par la France (qui a réuni 33 pays), la conférence de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à Vienne du 20 au 24 juin, puis la réunion du groupe européen de régulation nucléaire (ENSREG) fin juin, la sûreté nucléaire a été au cœur des discussions de nombreuses réunions internationales. Qu’en ressort-il ?

Guillaume Gillet : Il y a un consensus sur le fait qu’il faut modifier les conventions internationales qui concernent la sûreté nucléaire, la gestion du combustible usagé et des déchets, les notifications d‘accident et l’assistance à un pays touché par un accident.

Premier point important: renforcer l’indépendance de l’autorité de sûreté nucléaire dans un Etat. Dans le cas du Japon, on a bien vu que la présence de la Nisa (Nuclear and industrial safety agency) au sein du ministère de l’économie n’était pas adaptée à la situation. Le Japon prévoit d’ailleurs une réforme de son autorité de sûreté. D’autres pays comme la Corée ou l’Inde l’annoncent également.

L’autre point très important c’est la transparence vis-à-vis du grand public. Dans le cas de Fukushima, on aurait pu mieux faire. En période de crise on ne peut pas se permettre de ne pas avoir une information fiable y compris à l’égard des autorités internationales. Dans la mesure où l’impact d’un accident nucléaire s’étend aux pays voisins, un Etat doit rendre des comptes sur ce qui se passe.

L’AIEA ne s’est rendu au Japon qu’en juin. Était-ce trop tard ?

Guillaume Gillet : L’agence a reçu très tôt des informations sur la situation à Fukushima. Cependant, pour les notifications d’accident, il apparait préférable qu’une mission de l’AIEA puisse se rendre très vite sur le site d’un accident. Au Japon la mission d’évaluation s’est rendue sur place début juin, c’est bien mais c’est un peu tard. Il est utile de venir plus tôt pour évaluer la situation, faire appel à l’expertise internationale tout se suite.

Par ailleurs une réflexion est en cours sur une réforme de l’échelle Ines (International Nuclear Event Scale) qui permet de classer les incidents et les accidents nucléaires en fonction de leur gravité. C’est essentiellement un outil de communication mais elle est mal comprise. Elle pourrait être plus précise, avec une graduation plus adaptée. Dans le cas de Fukushima, certains placent l‘accident sur le niveau 7, comme Tchernobyl, alors que c’est une situation très différente.

Concrètement, de quels instruments doit se doter l’AIEA pour améliorer la sûreté nucléaire ? pour changer les choses ?

Guillaume Gillet : Il existe déjà des instruments opérationnels très importants : l’audit par les pairs d’un côté et les missions de l’AIEA, les IRRS (Integrated Regulatory Review Service), effectuées sur invitation d’un Etat. A la lumière de ce qui s’est passé à Fukushima, ce dispositif est désormais jugé insuffisant. Il faudrait imposer une périodicité comme on le fait déjà au niveau européen. Il faut également une plus grande transparence sur les résultats de l’IRRS. Aujourd’hui les recommandations rendues publiques à l’issue d’une telle mission sont le fruit d’une discussion avec le pays qui invite, il y a un consensus sur ce qui doit sortir. Ce n’est plus suffisant.

C’est la même chose pour les OSARTS (Operational SAfety Review Team), les missions d‘audits menées par une équipe de l’AEIA à la demande des exploitants. L’idée est d’exercer une pression plus forte sur les Etats membres, d’augmenter la pression par les pairs.

Faut-il des moyens de coercitions, de sanctions, pour l’AIEA ?

Guillaume Gillet :
L’agence a un pouvoir de sanction sur les questions de non-prolifération mais pas en matière de sûreté nucléaire. Certains songent à mettre en place une cour arbitrale en cas de non respect des conventions de l’AIEA, qui pourrait sanctionner un Etat. Cependant ce n’est pas l’idée dominante. Nous sommes dans un système où le regard des autres oblige à agir, à prendre des décisions. Ce regard n’est pas assez insistant : il faut le rendre plus insistant, même sans coercition.

Certains avancent également l’idée d’une véritable autorité supranationale, qu’en est-il ?

Guillaume Gillet : L’existence d’une autorité supranationale suppose qu’il y a un cadre juridique normatif et obligatoire, accompagné d’un pouvoir de contrôle. Une telle organisation devrait par ailleurs être dotée de milliers d’inspecteurs pour parcourir les installations nucléaires dans le monde. Mettre cela en œuvre à l’échelle internationale pour la sûreté nucléaire parait difficile. L’AIEA a aujourd’hui des standards de bonne pratique qu’il faut renforcer. Les rendre obligatoires parait difficilement envisageable.

Sur l’accident de la centrale de Fukushima lui-même, quel bilan tire l’AIEA ?

Guillaume Gillet : L’Agence considère qu’il a été fait au mieux avec les moyens disponibles dans les conditions de l’accident –celles d’une catastrophe naturelle d’une ampleur inégalée qui paralyse le pays.

Ce que l’on peut reteni : c'est d’abord que les installations à Fukushima-Daiichi n’étaient pas dimensionnées pour un tsunami de la taille de celui qui s’est produit le 11 mars. Elles étaient conçues pour les vagues de 6 mètres, pas de 14 ou15 mètres [voir les images], bien que des tsunami comparables se soient déjà produits sur cette côte il y a très longtemps.

L’autre point c’est que les mesures des rejets radioactifs avaient été sous-évaluées et ont été réévalués après la visite de l’Agence – ce qui confirme l’importance du regard exercé par les autres.
Cet accident doit encourager tous les pays à organiser des stress test sur leurs installations nucléaires [c’est le cas au sein de l’UE, ndlr].

Il démontre aussi la nécessité à poursuivre les recherches sur les accidents, notamment sur les mécanismes d’accumulation de l’hydrogène dans le bâtiment réacteur. Il faut regarder cela en détail pour amélioration la conception des réacteurs, et vérifier que les systèmes de prévention de cette accumulation sont efficaces. Prévenir la fusion du cœur, la percée de la cuve par le corium.. tout cela sont des sujets de recherches importants.

L’exploitant de la centrale de Fukushima-Daiichi, Tepco, a-t-il gérer la crise de façon trop isolée dans les premiers temps ?

Guillaume Gillet :
L’opérateur est le premier responsable de la sûreté de l’installation et même en cas d’accident il n’est pas question qu’il délègue sa responsabilité. C’est l’opérateur qui connait le mieux la structure, ce serait une perte de temps. En revanche, le contrôle par l’autorité de sûreté du pays et par le gouvernement est crucial. L’association internationale des opérateurs (WANO, World association of nuclear operators) annonce également de son côté une réforme de son système d’audit par les pairs. Il est important que l’après-Fukushima ne soit pas seulement un changement au niveau bureaucratique et règlementaire et que les opérateurs prennent leur part de responsabilité dans ces changements.

Quel va être le rôle de l’AIEA à Fukushima à l’avenir, sachant qu’il faudra des années pour gérer les conséquences de l’accident ?

Guillaume Gillet : Cela va dépendre de l’évolution du cadre international de sûreté. L’agence est chargée de rédiger un plan d’action pour le mois de septembre qui sera soumis au conseil des gouverneurs de l’AIEA. S’il est adopté, ce plan donnera un nouveau rôle à l’agence, notamment pour mener les IRRS. Mais le plan concerne aussi les situations post-accidentelles. Nous commençons à avoir un retour d’expérience, notamment à Tchernobyl, et il parait indispensable de créer un programme international pour savoir comment on travaille avec les populations, les collectivités locales, comment on décontamine, comment on dépollue les sols pour les rendre aux agriculteurs, etc.

L’ENSREG (European nuclear regulators group) s’est réunie fin juin : quelles sont les évolutions marquantes pour l’Europe dans ce contexte de l’après-Fukushima?

Guillaume Gillet : L’objectif de cette réunion était de faire le point sur la sûreté nucléaire en Europe depuis 10 ans. Suite à l’accident de Fukushima, les 143 réacteurs nucléaires européens vont être soumis à des stress tests (1). Les objectifs sont toujours les mêmes : améliorer la sûreté avec plus de transparence et plus d’indépendance. La directive européenne Euratom de 2009 qui acte l’indépendance des autorités de sûreté doit être transposée dans tous les pays de l’Union le 22 juillet prochain au plus tard.

Pour la France cela ne changera rien : l’ASN a déjà un statut d’autorité administrative indépendant, c’est la «Rolls-Royce » en la matière! Dans certains pays les autorités sont encore liées à des appareils ministériels –ce qui ne les empêche pas forcément d’agir avec indépendance.


(1) Le contenu de ces tests a fait l’objet d’intenses négociations au sein de l’UE, des pays comme la France et la Grande-Bretagne s’opposant à ce que ces stress tests incluent les actes terroristes, comme le voulait le commissaire européen à l’énergie. Le compromis trouvé fin mai entre la Commission et l’Ensreg laisse à des comités nationaux les questions liées au terrorisme et n’inclut dans les tests que les accidents d’avion sur des centrales.


Sciences et Avenir Cécile Dumas - 11/07/2011

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