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Disparition des abeilles : quand les apiculteurs se font piquer leurs ruches

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Reportage en Languedoc-Roussillon, une région apicole exposée à ce fléau qui accompagne la disparition des abeilles.

La mauvaise surprise a frappé Vincent Girod à l'aube d'une journée de mars. Ce matin-là, gravé dans la mémoire de l'apiculteur cévenol, il doit "relever" la quarantaine de ruches qu'il a installées pour l'hiver dans un petit coin sauvage de la Vaunage, une plaine creusée dans la garrigue et encerclée de collines, qui s'étend à quelques kilomètres à l'ouest de Nîmes (Gard). Au milieu des arbousiers, l'endroit se veut tranquille, isolé mais accessible. Bref, le lieu idéal pour butiner à l'abri des regards. Mais sur place, l'apiculteur découvre, "avec stupéfaction", qu'il a été devancé. "Toutes les ruches avaient disparu. Toutes sauf une, vide, que le ou les voleurs avaient laissée là", se souvient-il, amer, quatre mois après les faits et toujours sans nouvelles de ses abeilles.

 L'apiculteur Vincent Girod, dans un rucher, à Lattes, près de Montpellier (Hérault), vendredi 11 juillet 2015.  (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCETV INFO)

Vincent Girod n'est pas un cas isolé. Le site volderuches.com, lancé au début de l'année par un apiculteur du Tarn-et-Garonne, fait état, début septembre, d'une trentaine de vols dans toute la France. Depuis janvier, sur un total de 15 sinistres déclarés à l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf), un syndicat apicole, 10 sont des vols (contre 11 vols sur 24 sinistres déclarés en 2014). Sans compter les ruches subtilisées au compte-gouttes et que les apiculteurs, blasés, ne signalent pas.

Ces délits, commis par des confrères à la dérive, amateurs ou professionnels, illustrent les défis d'un métier-passion menacé par la dégradation de l'environnement et la raréfaction de l'abeille. Une hécatombe qui transforme les précieuses pollinisatrices en poules aux œufs d'or, et qui donne à leur miel un petit goût de luxe. Forçant, au passage, les apiculteurs à s'organiser.

"Si on ne m'avait pas pris mes plus belles ruches, j'aurais pu faire beaucoup de miel, c'est certain, souffle Vincent Girod en haussant les épaules. Après plusieurs années difficiles, pour une fois, le printemps a été très bon". Pour une fois. Météo déplorable, usage de produits phytosanitaires dans les exploitations et élevages voisins, parasites (l'impitoyable varroa) et prédateurs (le frelon asiatique)… Alors que le taux de mortalité flirte régulièrement dans certaines régions avec les 80% (un phénomène aussi appelé "effondrement des colonies"), les vols de ruches, d'essaims ou de miel se sont multipliés, puis généralisés ces dix dernières années. Un moyen pour les moins scrupuleux de reconstituer, à peu de frais, des cheptels décimés.

 L'apiculteur Vincent Girod ouvre une ruche, à Lattes, près de Montpellier (Hérault), le 11 juillet 2015.  (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCETV INFO)

"Il faut se rendre compte qu'en touchant aux abeilles d'un apiculteur, non seulement on le prive de son outil de travail, mais on l'atteint personnellement", confie Vincent Girod, qui insiste : il n'a pas perdu que de l'argent. "On accompagne les abeilles pendant toute leur vie, on s'en occupe de A à Z. Les perdre à cause d'un virus, c'est déjà très éprouvant. Mais un vol, ce n'est pas imaginable. C'est tellement loin de la philosophie de l'apiculture", se désole-t-il, depuis son bureau de l'Association de développement de l'apiculture en Languedoc-Roussillon (Adapro LR), à Montpellier (Hérault). Alors, comme très peu de biens volés sont retrouvés, les apiculteurs piègent leurs ruchers, explique Vincent Girod, par ailleurs technicien à l'Adapro LR et, cruelle ironie, très au fait des moyens de dissuasion.

Dès 2011, des entreprises ont développé des balises GPS spécifiques sous forme de petits boîtiers noirs à dissimuler dans les ruches. Vincent Girod ouvre un placard et en sort une, à peine plus encombrante qu'une grosse boîte d'allumettes : "Personne ne peut savoir qu'elle est là. Elle est reliée à une carte SIM. Quand une ruche se met en mouvement, vous êtes prévenu par SMS et vous pouvez la suivre sur internet". 


Malin, mais pas donné. A environ 250 euros pièce, impossible d'en mettre dans les quelques centaines de ruches dont disposent les professionnels, mais "un déploiement par échantillonnage fonctionne bien", assure le site du dispositif BeeGuard, développé par SiConsult, pionnier du secteur. Concrètement, une seule balise placée dans le rucher dévalisé de Vincent Girod aurait permis de donner l'alerte. "Disons que je prends davantage de précautions", répond-il, questionné sur "l'après".

Christian Thène, lui, en a installé quelques-unes. Une nuit, réveillé par un SMS provenant d'une de ses ruches, cet apiculteur audois a filé à bord de sa camionnette, le fusil dans le coffre ("je n'ai pas l'intention de m'en servir, mais il faut bien faire peur"). Fausse alerte : "La ruche avait dû être bousculée par un sanglier", sourit-il, amusé rétrospectivement par cette mésaventure. Le vol, le vrai, phénomène qu'il connaît bien et depuis longtemps, le fait moins rire.

 L'apiculteur Christian Thène, sur son exploitation, à Montlaur, près de Carcassonne (Aude), samedi 11 juillet 2015.  (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCETV INFO)

Avec son épouse, il gère plus d'un millier de ruches, non loin de Carcassonne, à Montlaur, un village perché au milieu des vignes des Corbières. "Il y a trois ou quatre ans, les ruches partaient par lot de 60. On soupçonnait un réseau dans les Pyrénées-Orientales, et puis un voleur a été arrêté et les choses se sont calmées un moment. Depuis, on m'en vole une cinquantaine ou une soixantaine tous les ans", estime-t-il, pendant que derrière lui, le miel s'écoule par litres, onctueux, dans des cuves estampillées "Miel de France". "Depuis, chaque fois que j'arrive sur une exploitation, je m'attends à ne pas trouver mes ruches".

A titre dissuasif, certains installent des caméras utilisées pour observer les animaux. Elles aussi peuvent être consultées à distance par les apiculteurs, et permettre, une fois transmises à la gendarmerie, d'identifier les voleurs et intrus venus s'aventurer dans les ruchers. Mais ce producteur de miel a décliné l'option : "Je n'ai pas envie de me les faire voler, elles aussi."

Christian Thène, comme Vincent Girod et la plupart des apiculteurs un jour victimes de vol, disent faire aujourd'hui plus attention à l'emplacement de leurs ruches. "L'idéal, c'est de trouver un lieu fermé, chez un particulier par exemple, avec une clôture, une clé", explique l'apiculteur cévenol. Sinon, même si l'emplacement d'un rucher n'est connu que de l'apiculteur et du propriétaire du terrain, "il peut toujours être découvert par des promeneurs, des chasseurs, etc". Dans les Landes, un apiculteur épinglé en juin pour le vol de plus de 150 ruches était pompier volontaire, relève un exploitant local, joint au téléphone par francetv info : "Un boulot qui a pu l'amener à trouver des ruchers en se déplaçant sur des feux."

Non loin de là, dans les Alpes-de-Haute-Provence, le syndicat apicole local a développé un partenariat avec la gendarmerie pour lutter contre les vols. Mais, souvent, les victimes déplorent un manque d'intérêt pour ces délits commis à l'ombre des acacias. Ainsi, le fascicule né de cette collaboration ne promet guère de chasse à l'homme et préfère insister sur la prévention.

S'il a déclaré le vol de ses abeilles à la gendarmerie, Vincent Girod reconnaît avoir davantage compté sur ses confrères pour mener l'enquête. "J'ai envoyé un descriptif de mes ruches, avec photo, à tout mon réseau", raconte-t-il. Il a aussi écumé les sites de vente sur internet. "Au mois de mars, c'est le moment de la pollinisation", explique-t-il. Un mois pendant lequel les agriculteurs, en rade d'abeilles pour butiner et féconder leurs fleurs, louent les services des apiculteurs. Du coup, de nouveaux ruchers essaiment dans les vergers. Quand bien même il décrit le milieu de l'apiculture comme "plutôt individualiste", Vincent Girod assure que ses confrères ont pris l'habitude d'ouvrir l'œil, au cas où des ruches volées ressurgiraient.

 Des abeilles dans une ruche à Lattes, près de Montpellier (Hérault), vendredi 11 juillet 2015.  (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCETV INFO)

Et ça peut finir par marcher. En 2011, un apiculteur du coin a fini au poste, soupçonné d'avoir dérobé des centaines de ruches. Selon Christian Thène, la soixantaine d'unités qui lui appartenaient figuraient dans cet inventaire, mais "les gendarmes ne nous ont pas laissés aller sur place pour identifier nos ruches", soupire-t-il. Ce sont des collègues qui ont reconnu le matériel volé, dans un verger de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales). Dans ce petit milieu où, à l'échelle régionale, tout le monde se connaît, la condamnation de ce confrère à huit mois de prison avec sursis et à 24 mois de mise à l'épreuve a traumatisé la profession. Vincent Girod se souvient de la mobilisation suscitée par cette affaire et de l'envie "d'en découdre", de "faire le ménage dans la profession" exprimée par de nombreux confrères.

Les mots n'ont pas été suivis d'actes, mais les apiculteurs interrogés notent toutefois que le voleur, une fois condamné par la justice, "a reçu de la visite". "Disons qu'on lui a vivement conseillé de ne pas poursuivre son activité par ici", concède le président de l'Adapro LR, Eric Lelong. Ancien instituteur reconverti dans l'abeille, le voleur était "au-dessus de tout soupçon". "Il mangeait à ma table !" s'étonne encore Eric Lelong. Et Vincent Girot d'ajouter, incrédule : "Sans compter que, sur son site internet, il faisait la promotion de dispositifs antivol de ruches"...

 France 3 Corse ViaStella 24/11/2014



Francetv info 27/9/2015

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