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La dure réalité du monde agricole autour de Fukushima

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Ils ont tout perdu à cause de la radioactivité :
deux paysans de Fukushima témoignent




Toshihide Kameta, président de la Confédération des paysans de Fukushima , et Shimpei Murakami, agriculteur bio, ont tout perdu dans la catastrophe qui a frappé la centrale japonaise. Aujourd'hui, ils tentent de faire jouer la solidarité pour se reconstruire. Ils militaient depuis longtemps contre le nucléaire. Ce combat sera désormais au centre de leur vie.

Toshihide Kameta, 62 ans, s'éponge souvent le front. Tassé, les traits tirés, il semble accablé. Shimpei Murakami, 53 ans, visage plus décontracté, sourit plus volontiers. Mais ils partagent le même sentiment : «la colère».

Depuis le 11 mars dernier, ils ont tout perdu. La radioactivité libérée a contaminé l'eau, les sols, les végétaux. Et leurs terres sont devenues inexploitables.

Toshihide Kameta (à gauche) et Shimpei Murakami ont tout perdu après la catastrophe de Fukushima.[i](Photo Jean-François Haït)[/i]

Aujourd'hui, les deux paysans japonais voyagent à l'étranger pour témoigner. A Paris le 16 mai, dans le cadre du colloque «Production agricole et environnement en Asie» à la Fondation Maison des Sciences de l'Homme, ils ont raconté la catastrophe. Mais aussi le manque d'information sur la radioactivité, la fuite, le déchirement, la vie à réinventer.

[i]«Je suis totalement antinucléaire. Je vais continuer à me battre»,
martèle Toshihide Kameta. Il avait 4 hectares de rizières et de champs et 1.200 m2 de serres à Minamisoma, à moins de 20 km de la centrale, ce que l’on appelle la «zone rouge», aujourd'hui interdite. Il y pratiquait une agriculture «raisonnée» en limitant voire supprimant l'usage des engrais et pesticides.

Fuir sans savoir

... Le 12 mars, lendemain du séisme, les autorités ont demandé de quitter la zone, suite à un «accident» à la centrale, sans plus de précision. «Nous n'avons eu aucune donnée officielle concernant le danger de la radioactivité entre le 12 et le 22 mars, souligneToshihide Kameta. Nous n'avons eu des informations que par les médias». ...Il a mis quelques jours à partir. «Mon cœur m'en empêchait : un paysan ne peut quitter sa terre du jour au lendemain ».

Avec son épouse et sa mère, il s'est réfugié dans la ville de Koriyama, à 40 km de sa ferme et 60 km de la centrale, où il loue un appartement. Il est revenu une fois sur ses terres en avril, pour mesurer la radioactivité par ses propres moyens : 3,5 microsieverts/heure dans l'air, à 1 mètre du sol, soit 30 millisieverts par an, 30 fois plus que la limite annuelle d’exposition à la radioactivité artificielle fixée par l'Organisation Mondiale de la Santé.

«On ne pourra pas y retourner avant dix ou vingt ans», estime-t-il, malgré les difficultés manifestes que lui-même et ses collègues ont pour interpréter les données, rares et peu précises.

«Actuellement, nous recevons des messages de paysans japonais qui cherchent à se procurer en France des compteurs Geiger pour mesurer par eux-mêmes la radioactivité sur leur terre. Ils envisagent aussi de la mesurer dans leurs produits, et demandent pour cela l'assistance d'experts». Les compteurs Geiger sont aujourd'hui introuvables dans le pays. «Il n'y en avait même pas dans la région de Fukushima avant la catastrophe, à cause du mythe de la sécurité entretenu par Tepco, l'opérateur de la centrale» dénonce Toshihide Kameta."

Il s'apprêtait à vendre ses choux, épinards et brocolis. Ils sont désormais impropres à la consommation. Et la situation n'est pas plus enviable pour les paysans situés dans des zones pourtant faiblement contaminées. «Dès qu'ils voient l'origine «Fukushima», les consommateurs se détournent des produits, même s'ils sont sains», déplore l’agriculteur.

Les pertes ne se limitent pas aux légumes. « La région de Fukushima produisait 10% du riz japonais. Et dans la région d'Iitate, qui est fortement contaminée, les animaux d'élevage, comme les porcs et les bœufs Wagyu [dont la viande est très prisée], devront être abattus », explique l'économiste Marc Humbert, directeur de la Maison Franco-Japonaise (CNRS-Ministère des affaires étrangères) à Tokyo.

Première priorité pour Toshiide Kameta : retrouver les membres de sa confédération qui se sont éparpillés. «Nous serons ainsi plus forts pour négocier des indemnités avec Tepco et l'Etat japonais. Ils doivent assumer nos pertes».

Un rêve écolo brisé

Shimpei Murakami, quant à lui, fait défiler les photos de son bonheur perdu. Il vivait à Iitate, une région boisée idyllique, à 40 km de Fukushima. Le restaurant macrobiotique tenu par son épouse était approvisionné en produits de sa ferme. Déco très zen, bois au sol et aux murs, pain maison, appétissants gâteaux sous cloche, bambins poursuivant joyeusement les canards et dernier cliché d'une famille heureuse pris quelques jours avant la catastrophe. Un rêve écolo brisé pour ce producteur bio, qui avait passé plusieurs années en coopération à l'étranger afin de promouvoir l'agriculture durable avant de se réinstaller au Japon.

Bien que plus éloignée de la centrale, la région d'Iitate a en effet connu des retombées radioactives particulièrement importantes. Shimpei Murakami a fait faire des analyses sur son exploitation par un ami universitaire. «7,2 microsieverts par heure dans l'air, 15 au sol, et même 10 microsieverts dans les premiers dix centimètres de terre, affirme-t-il en montrant le compte-rendu de l'analyse. Je ne pourrai pas retravailler ma terre avant au moins trente ans». Trente ans, c’est le temps qu’il faudra pour que la radioactivité du césium 137 dégagé par la centrale ait diminué de moitié.

Le Tekei, ancêtre de l’AMAP

Depuis la catastrophe, il a trouvé refuge à 700 km au sud-ouest de Fukushima, dans le département de Mie. Là réside l'association de fermiers bio Aino Kai (Amour de l'agriculture) et s’est organisé le logement de familles de paysans sinistrés.

Car ce ne sont pas seulement leurs exploitations qui sont détruites, mais aussi tous les efforts de ces deux agriculteurs pour promouvoir un rapport durable à la terre. Ainsi, Toshihide Kameta et Shimpei Murakami vendaient une large partie de leur production directement, selon le système du Teikei. «Un groupe de consommateurs est lié à un groupe de producteurs, avec l'objectif de créer des moments de dialogue entre les deux.

Le Teikei est né dans les années 70 au Japon, parce que des mères de famille ont commencé à se préoccuper de la qualité de la nourriture qu'elles donnaient à leurs enfants. Il a inspiré le mouvement des AMAP (A[i]ssociation pour le maintien d’une agriculture paysanne) en France »[/i], explique Hiroko Amemiya, chercheure en anthropologie à l'Université de Rennes et à la Maison Franco-Japonaise. Shimpei Murakami accueillait des stagiaires pour leur apprendre le bio, et s'apprêtait à fonder un éco-village autour de sa ferme. «La première famille devait s'installer en avril». De tout cela, il n'est plus question.

Un accueil en Bretagne?

Certains ne l'ont pas supporté. Monsieur Tarukawa était agriculteur bio depuis trente-cinq ans à Suragawa, à 70 km de la centrale. Quand le gouvernement lui a dit qu'il ne pouvait plus vendre ses légumes, il s'est suicidé. Hiroko Amemiya montre une photo de sa veuve, une petite dame à la tribune haranguant un groupe d’agriculteurs

«Je vais continuer à cultiver la terre, sinon je vais devenir folle», a-t-elle déclaré. Mais elle craint de ne pouvoir faire manger ses légumes à la population japonaise.«Il y a eu d'autres suicides, mais personne n'en parle», affirme Toshihide Kameta.

C'est une question «douloureuse », selon lui, que de savoir où pourront bien aller ces paysans déracinés. Hiroko Amemiya, bouleversée par le drame vécu par ces familles, a résolu de trouver du travail pour quelques-unes. Elle met au point un projet visant à créer des fermes d'accueil en ]Bretagne, avec le soutien de la Fondation de France. «Il s'agit d'accueillir des paysans japonais pour les sortir de Fukushima, mais aussi de mener une réflexion sur le long terme concernant l'agriculture durable. Il faut tirer des leçons de la catastrophe qu'ils ont vécue», explique-t-elle. Tous les paysans de Fukushima ne pourront évidemment pas être accueillis en France, mais des structures d'entraide similaires pourraient bientôt voir le jour au Japon.

L’espoir d’un réel changement

Toshihide Kameta et Shimpei Murakami ne savent pas où ils iront, mais ce ne sera plus jamais à proximité d'une centrale. Pour ces militants anti-nucléaires d’avant la catastrophe, le nucléaire, c’est «non, merci». «Il y a vingt ans, un autre opérateur voulait implanter une nouvelle centrale nucléaire au nord de Fukushima-Daiichi. Nous avons réussi à retarder le projet en achetant des parcelles du terrain qui devait accueillir la centrale» raconte Toshihide Kameta. Celui-ci affirme qu'en 2004, à la suite du séisme de Sumatra, sa confédération de paysans avait interrogé Tepco sur le risque de tsunami. La réponse officielle avait été : pas de danger.

«Je suis très déprimé, mais si je pense au futur, cette période est la plus propice à un réel changement, donc j'ai de l'espoir. Il faut arrêter le monopole du nucléaire» dit Shimpei Murakami. Dans l'immédiat, Toshihide Kameta aimerait pouvoir mettre en lieu sûr les enfants de la région de Fukushima, qu'il juge «dans une situation inquiétante car exposés à la radioactivité». A plus long terme, il déclare qu'il se battra pour promouvoir les énergies renouvelables. Pour lui, cela ne fait aucun doute : «l'agriculture et l'énergie nucléaire sont incompatibles».



.Sciences et Avenir : Jean-François Haït

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