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Admin-lane

Des équipages d’esclaves sur les chalutiers thaïlandais

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Des patrons de pêche s’arrogent en toute impunité le droit de vie et de mort sur leur équipage. A leur insu, les consommateurs occidentaux sont complices du système.

De Samut Sakhon (Thaïlande) et Prey Veng (Cambodge)

Dans la plaine du Cambodge brûlée par le soleil, où la poussière pique les yeux et bouche les pores de la peau, se dresse une minuscule habitation bâtie sur des pilotis en ciment. Elle abrite trois générations d’esclaves en fuite. Le chef de famille, Sokha (un pseudonyme), est de retour depuis peu, après deux ans de captivité. La maison est dans le même état que lorsqu’il l’a quittée : vide, avec quelques oreillers sales en guise de meubles.

Des rais de lumière filtrent à travers les fissures des murs. Le bien le plus précieux de la famille, une truie, se dandine en grognant sous le plancher surélevé. Jusqu’à son évasion, en décembre dernier, Sokha était la propriété d’un capitaine de chalutier de haute mer.

Ce Cambodgien de 39 ans, son jeune fils et deux de ses neveux avaient chacun été achetés pour environ 650 dollars [520 euros] via des intermédiaires leur ayant promis un travail au noir dans une conserverie de poissons.

La conserverie n’existait pas. Introduits clandestinement en Thaïlande, les quatre Cambodgiens ont été embarqués sur un bateau en bois qui a pris le large sur une mer de non-droit. L’oncle de Sokha était tombé dans le même piège cinq ans plus tôt. Il avait réussi à s’échapper et avait mis en garde sa famille. En vain. Sokha a persuadé son fils, alors âgé de 16 ans, que, cette fois, l’aventure tournerait différemment.


Dans le port de Sattahip, en Thaïlande, un travailleur immigré débarque du poisson. (Courrier International)

Bien entendu, il se trompait. “Nous étions contraints de travailler à l’œil et sans arrêt pendant parfois deux ou trois jours d’affilée, malgré le mal de mer et les vomissements, se souvient-il. Nous obéissions au doigt et à l’œil au capitaine.” Un capitaine qui proférait des menaces de mort pour maintenir son emprise sur l’équipage et n’hésitait pas à sortir son pistolet K-54 datant de la guerre du Vietnam.

Une nuit, il a tailladé le visage de l’un des esclaves sous les yeux de l’équipage. “Vingt heures par jour, nous étions forcés de pêcher et de trier ce que nous remontions : maquereaux, crabes, calmars, poursuit Sokha. Mais le poisson n’était pas pour nous.”

A qui était-il donc destiné ? La réponse devrait faire tomber des nues tous ceux qui observent de près l’industrie de la pêche en Thaïlande, secteur générant plusieurs milliards de dollars. “C’est un marché axé sur l’exportation. Et nous savons vers quels pays ces produits partent”, indique Lisa Rende Taylor, du Projet interagences des Nations unies sur le trafic d’êtres humains (Uniap). “Il suffit de faire le calcul.”

La Thaïlande est le deuxième fournisseur de produits de la mer des Etats-Unis, avec une part de marché de 16 % de ces importations. En 2011, selon la Direction américaine des pêches maritimes, la Thaïlande a exporté 375 000 tonnes de poissons et de fruits de mer aux Etats-Unis pour une valeur dépassant 2,5 milliards de dollars [1,6 milliard d’euros]. Seul le Japon en consomme davantage.

En cette ère de mondialisation, les Etats-Unis apparaissent de plus en plus sensibilisés aux mauvais traitements subis par les pauvres qui, à l’étranger, les approvisionnent en produits de consommation. Il suffit de voir le succès remporté par le commerce équitable, l’indignation suscitée par les “diamants de sang” [qui financent des guerres en Afrique] et, plus récemment, le tollé provoqué par les conditions de travail inhumaines qui règnent chez les sous-traitants chinois d’entreprises comme Apple.

Mais l’assemblage des iPad est une sinécure comparé à l’esclavage pratiqué sur les chalutiers thaïlandais. Là, les conditions de travail sont aussi dures et exténuantes que dans les plantations américaines au XIXe siècle. Les plus chanceux parviennent à s’évader au bout d’un an ou deux. Les autres sont revendus encore et encore. Quand ils ne sont pas assassinés.

Il est de plus en plus difficile de nier que les gros importateurs de produits de la mer thaïlandais – Japon, Etats-Unis, Chine et Union européenne – profitent, de fait, du travail forcé.

Les témoignages d’anciens esclaves, d’associations de pêcheurs thaïlandaises, de fonctionnaires, d’exportateurs et de travailleurs sociaux recueillis par le Global Post au cours d’une enquête de trois mois ont levé le voile sur une chaîne logistique qui repose sur l’esclavage.

La complexité du réseau de chalutiers, bateaux-mères et grossistes indépendants contribue à masquer l’origine du poisson pêché par les esclaves bien avant que celui-ci ne soit débarqué à terre. C’est ainsi que nombre de patrons d’usines thaïlandaises ignorent par qui a été pêché le poisson qu’ils transforment avant de l’exporter.

Le propos doit toutefois être nuancé. Les deux principaux produits de la mer exportés aux Etats-Unis – le thon et la crevette – ont des origines différentes. La majeure partie du thon “thaï” est en réalité importée et transformée avant d’être réexportée. Et, si l’industrie de la crevette est souvent accusée d’exploiter des immigrés démunis, les fermes aquacoles font au moins l’objet de contrôles impromptus.

On ne peut pas en dire autant des chalutiers hauturiers, où l’esclavage est le plus répandu. Les principales prises – légales ou non – des chalutiers thaïlandais sont la sardine, le maquereau, la seiche, le calmar, l’anchois et les poissons de rebut, qui sont transformés en nourriture pour animaux ou entrent dans la composition de la sauce de poisson. Les Américains consomment une énorme quantité de ces poissons.

Selon les chiffres du gouvernement américain, 20 % du volume des importations américaines de maquereaux et de sardines proviennent de Thaïlande. La proportion atteint 33 % pour les boulettes, les pâtés et les croquettes préparés avec les poissons de rebut. Et la sauce de poisson thaïlandaise inonde 80 % du marché américain.

Mais les représentants de l’industrie en Thaïlande admettent qu’il est généralement impossible de dire si tel poisson ou produit à base de poisson est le fruit du travail forcé ou pas.

Selon Arthon Piboonthanapatana, secrétaire général de l’Association thaïlandaise des aliments surgelés, les codes-barres permettent aux consommateurs américains “de remonter jusqu’aux usines de transformation”. Mais il n’appartient pas aux exportateurs de surveiller les groupes qui les approvisionnent. “Nous sommes seulement habilités à contrôler nos membres ; nous n’avons aucun pouvoir sur les autres intervenants, comme les bateaux ou les pêcheurs.”

Les importateurs américains s’estiment tout aussi impuissants à surveiller des bateaux thaïlandais qui évoluent dans des eaux si lointaines. “Les organismes occidentaux de régulation ont peu ou pas d’influence, ni d’autorité, sur les différents maillons de la chaîne”, fait observer Gavin Gibbons, porte-parole de l’Institut national de l’industrie de la pêche, principale organisation professionnelle du secteur aux Etats-Unis.

L’Institut réagira sans tarder si des usines sont nommément mises en cause, assure-t-il. Mais, jusqu’ici, il n’a pas trouvé de moyens efficaces pour contrôler les conditions de travail sur les navires hauturiers qui capturent du poisson destiné aux Etats-Unis.

“Nous avons entamé des discussions avec nos membres pour savoir jusqu’où un audit pouvait aller et s’il était possible d’en faire sur les quais, poursuit M. Gibbons. Les bateaux sont faits, par définition, pour être en mer”, et cela complique les tentatives de l’industrie en vue de s’autoréglementer.

En attendant, les pressions internationales sur l’industrie thaïlandaise de la pêche s’intensifient.

Dans le classement du département d’Etat américain sur le trafic des êtres humains, la Thaïlande arrive à l’avant-dernier rang et elle pourrait être encore rétrogradée cet été. L’an dernier, au cours d’une visite qui a contrarié les autorités de Bangkok, un rapporteur des Nations unies a déclaré que le travail forcé était “notoirement courant” dans le secteur de la pêche thaïlandais et a même évoqué des complicités policières.

“Ce n’est pas comme surveiller des maisons de passe, des plantations ou des usines. […] Tout se déroule en mer”, souligne Lisa Rende Taylor, de l’Uniap. “C’est un univers où les capitaines sont rois. Certains d’entre eux sont là pour gagner le plus d’argent possible en exploitant ces pauvres types vingt-quatre heures sur vingt-quatre aussi cruellement qu’ils le veulent.”


-----> Libération : Epinglée par les Etats-Unis et les Nations unies, la Thaïlande chercherait-elle à redorer son image ? Le 13 juin, l’équivalent thaïlandais du FBI a perquisitionné à bord de deux chalutiers ancrés dans le port de Saem San, non loin de Bangkok, et secouru onze Birmans asservis depuis sept mois, raconte le webzine birman The Irrawaddy. Chacun d’eux avait été acheté 8 000 bahts (200 euros environ) à des intermédiaires. “Ils ont ensuite été contraints de travailler sans être payés”, indique Sompong Sakaew, directeur de l’ONG Labor Rights Protection Network.

En France :La Thaïlande est le onzième fournisseur de la France pour les produits de la mer, avec près de 29 500 tonnes en 2010, soit plus de 117 millions d’euros, selon les statistiques de FranceAgriMer. Les crevettes représentent la moitié de ces importations, suivies par le thon (20 %) et les autres “poissons filetés” (16 %). Le premier fournisseur est la Norvège, avec 122 500 tonnes, soit 594 millions d’euros.





Lire AUSSI : l'ENFER en HAUTE MER de la même source

EDIFIANT : lire cet autre article. Cette fois c'est aux Etats-Unis (10/07/2012) -Même source. : Travail forcé chez un sous-traitant de Walmart



Source : Courrier International (texte et image)21/06/2012

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